Histoire de La Chabraque

La Chabraque en quelques chiffres :

La Chabraque a reçu plus de 500 adolescents en 35 ans d’existence.
Sa capacité annuelle d’accueil est de 20 adolescents.
La Chabraque travaille avec tous les départements de France métropolitaine et des DOM-TOM.
La structure est formée de 2 associations : La Chabraque et l’école.

  • 11 salariés, moyenne d’âge de l’équipe : 46 ans.
  • 1 300 m² de surface habitable (2 maisons familiales de 500 m² chacune + 2 maisons de semi-autonomie de 150 m² chacune).
  • Environ 120 000 km par an sur les routes pour assister à une quinzaine de synthèses avec les services dans toute la France et autant d’audiences, de suivi de stages, de prestations, etc.
  • 1 véhicule de direction et 1 VW Transporteur 9 places pour le LVA.
  • 1 VW Transporteur 9 places pour l’école.
  • 1 camion de transport de chevaux.
  • 1 véhicule 4X4.
  • 3 tracteurs.
  • 16 hectares de prés.
  • 1 carrière 80 x 40 m.
  • 1 manège 40 x 20 m.
  • 1 écurie de 20 box.
  • 10 chevaux en moyenne.
  • 15 tonnes de granulés/an.
  • 32 tonnes de foin/an.
  • 48 tonnes de paille/an.
  • 99 % de réussite au CAP soigneur d’équidés.
  • 100 % de réussite au diplôme de groom équestre.
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Marie-France et Patrick Ardon, fondateurs de La Chabraque
Sophie et Julien ARDON, directeurs
Sophie et Julien ARDON, directeurs

ÊTRE CHABRAQUEUX, de Patrick ARDON

Être Chabraqueux, c’est arriver mal dans ses baskets et repartir droit dans ses bottes.

Être Chabraqueux n’est pas un état à proprement parler mais plutôt un passage, un âge de la vie. Être Chabraqueux, c’est une image qui montrerait la transformation d’un corps disharmonieux en un corps épanoui, transformation dans le corps et dans la tête du fait même de l’adolescence. Être Chabraqueux implique donc, de façon imagée, la remise en forme d’un corps « souffrant ».

L’adolescent arrive clopin-clopant, et va apprendre la meilleure façon de marcher. Il arrive sur deux jambes qui le tiennent à peu près ; l’une est un rêve de cheval, l’autre une famille désarticulée.

En ce qui concerne sa jambe-cheval, il va très vite passer du rêve à la réalité, et parfois durement puisque à Sever, on ne monte pas à cheval en randonnée, les cheveux au vent, mais sous le contrôle d’un moniteur, dans une carrière découverte et avec une bombe sur la tête. « L’effet cheval » va aider l’ado à grandir. Outre l’équitation, un puissant lien va se nouer entre le cheval et le Chabraqueux. Dans les premiers mois – la première phase –, presque tous les ados veulent nouer une relation affective étroite avec un cheval, celui qu’ils aiment le plus, le plus beau évidemment – le nounours, ou objet transitionnel. Le pédopsychiatre et psychanalyste Donald Winnicott a publié un texte sur ce sujet (Objets transitionnels et phénomènes transitionnels, 1951). Inutile donc d’en faire un roman. Rappelons simplement qu’il place cet « objet » entre le réel et l’imaginaire de l’enfant en tant qu’objet de consolation face aux traumatismes de la réalité. Et c’est bien ce dont il s’agit pour les Chabraqueux. Ils ont leur cheval « Plus », comme le Monsieur Plus de la publicité : celui qui aura un peu plus de granulés, une litière plus fournie, sans parler des bonnets, des tapis, des guêtres…

Mais pour un ado, il est temps d’émerger de cette relation parfois fusionnelle. Son amour exclusif va d’abord se décentrer vers les humains « humains » qu’il va rencontrer, ce qui créera une ouverture vers les autres chevaux. A la fin de la première année, les photos qui tapissent les chambres sont déjà moins centrées sur « mon » cheval – bien que les adultes signalent dès le début qu’il n’y a pas de cheval personnel à La Chabraque. Les ados prennent peu à peu conscience qu’il y a d’autres chevaux dans les écuries, tout aussi intéressants, et qui ont droit au même amour, ou du moins au même respect. C’est la deuxième phase, celle de « nos » chevaux  qui sont évidemment meilleurs et mieux traités que dans les autres clubs. « Nos » chevaux, c’est le sentiment d’appartenance à la tribu Chabraque : on s’occupe de tous avec un réel plaisir et la visite des écuries par des étrangers est un élément valorisant.

La troisième phase, plus lente à venir, est une relation non pas déaffectivée, mais professionnelle. Les chevaux ne sont plus « beaux », ils ont un dos trop long, une encolure en col de cygne, la pointe longue et le talon bas, etc.

En ce qui concerne la jambe-famille, l’ado qui arrive à La Chabraque découvre plus qu’une famille : une tribu, avec son patriarche que les jeunes loups veulent manger, sa femme qui soigne, ses adultes plus jeunes qui dynamisent l’ensemble. « Vivre avec » est l’un des points forts de La Chabraque.

Ces deux jambes mises en place, elles commencent à fonctionner. Dans ce corps chabraqueux, on passe alors de la jambe à la ceinture, au-dessus et au-dessous. C’est de là qu’émerge la loi. Ce vieil Oedipe en savait quelque chose, mais l’explication chabraqueuse est plus pragmatique. C’est la « règle des trois V ». Interdiction de vol, de violence et de viol – dans ce contexte, le terme viol interdit les relations amoureuses entre Chabraqueux, leur laissant de plein droit les conquêtes extérieures à la tribu Chabraque ou exogamie, soit la règle qui impose d’aller chercher son partenaire à l’extérieur de son groupe social, de sa tribu. Pourquoi viol plutôt que flirt ? La règle des VVF aurait évoqué un club de vacances, ce que La Chabraque n’est nullement.

Les ados rencontrent la loi à cheval. Ils ne montent pas n’importe comment ni n’importe où. Ils sont correctement habillés, par respect pour eux-mêmes et pour l’animal. Ils passent généralement du débutant qui fait un mauvais parcours « par la faute du cheval » au cavalier plus confirmé sachant qu’il n’y a pas de mauvais chevaux, mais de mauvais cavaliers. Le cheval est un excellent maitre d’école, qui sait, à sa façon, dire la loi : il répond à des ordres clairs et précis. Si les demandes sont imprécises ou fantaisistes – hors-la-loi –, ses réponses seront abruptes.

Cette jambe familiale porte les règles de la vie quotidienne, qu’on accepte en signant un contrat de convivialité et de formation professionnelle. Les règles de vie sont simples, mais souvent bafouées dans des familles en difficultés. La loi structurante n’étouffe pas, bien au contraire. Elle permet de respirer, de reprendre un nouveau souffle, d’avoir envie, de quitter le bof d’avant, le « pourquoi pas ? ».

Être Chabraqueux, c’est aussi savoir se servir de ses deux bras et de ses dix doigts. Le terme chabraque, dans les dictionnaires équins, fait référence à la Haute École de Vienne où les cavaliers ont une chabraque, ou tapis de selle galonné d’or ou d’argent, suivant leur grade. Mais en patois aveyronnais, « Qué lou pute de sabraque ! » signifie, en traduction non littérale : « Quel mauvais ouvrier ». Qu’à cela ne tienne ! ils seront sabraques en arrivant mais Chabraqueux en repartant : ils auront acquis en deux ou trois ans une technicité, un savoir-faire sans doute plus important qu’un savoir tout court enseigné dans certaines formations agricoles où ils sont bien moins en contact avec le cheval au quotidien.

Cependant, ces ados ont besoin d’une tête bien faite, à défaut d’être bien pleine – certains ont des lacunes abyssales. L’enseignante en matières générales trouve sans cesse des subterfuges pour leur apprendre les maths ou le français : les problèmes d’abreuvoir qui fuit ou de paddock à clôturer remplacent avantageusement les robinets ou les calculs de périmètres abstraits. Quant au cours d’histoire, il aborde plus volontiers le cheval de Troie ou les hordes d’Attila que les fastes de Versailles.

L’école expérimentale de La Chabraque est essentiellement liée à la formation technique et professionnelle. Tous les matins, les ados suivent les cours de matières générales (ils piaffent alors sur leur chaise et se retournent souvent pour voir qui est à cheval dans la carrière) ; tous les après-midi, ils sont d’abord à cheval, puis en cours d’hippologie et enfin aux écuries. En supplément, afin de les sensibiliser aux problèmes du monde, les permanents les invitent, tous les jeudis soirs, à une discussion au coin du feu.

Ce corps qui se transforme est ainsi toujours en mouvement, et le temps passe inexorablement. A un rythme journalier, hebdomadaire, mensuel, annuel, tout semble codifié avec, toutefois, des aménagements possibles entre théorie et pratique. Les rythmes s’organisent tous autour de la formation et sont parfois rompus par des séquences exceptionnelles, parfois pratiques, parfois symboliques. Le Chabraqueux est un individu unique qui appartient à une espèce grégaire. La personnalité de chacun est donc respectée sans jamais perdre de vue la cohérence du groupe. Les ados sont répartis en années de formation (1ère, 2e et 3e année). Les entrants en préformation viennent pour trois jours, puis trois semaines, puis trois mois, (d’où les expressions « la trois-jours a fait ceci ou cela », « les 3e année devraient être des exemples »). Le rythme trimestriel se divise en quinze jours d’école et quinze jours de stage pour la 1ère année, la durée des stages augmentant en 2e et 3e année. Comme ils ne vont jamais chez le même maître de stage – le compagnonnage est privilégié dans toute la France, voire toute l’Europe –, la gestion du planning est un vrai casse-tête : d’un côté trente maîtres de stage, avec leur caractère et leur pédagogie, de l’autre vingt Chabraqueux, avec leur caractère et leur niveau plus ou moins avancé de technicité. Et une règle d’or : les Chabraqueux ne doivent pas se croiser chez les maîtres de stage. Chacun raconte son expérience, ses exploits quand, par exemple, la SNCF est en grève. C’est donc bien un parcours individuel et à la carte qui est proposé. Quant aux groupes d’année, ils se croisent à l’école, se retrouvent le soir – jusqu’à 22 h 29 – à la « cabane du jury » ou dans la carrière à sauter des obstacles de jumping à pied (ah ! cheval, quand tu nous tiens). A l’extérieur, en groupe, ils ne sont plus une bande, mais une équipe : celle du club de La Chabraque qui va en concours hippique rencontrer d’autres clubs le dimanche ; celle de prestataire de services de CSI (concours de saut d’obstacles international) pour monter les parcours et ramasser des barres d’obstacles. Ces deux séquences ont pour bénéfices la valorisation et la reconnaissance par le travail, mais sont également le moyen « commercial » de trouver des emplois, des stages et des appuis pour La Chabraque. En équipe, les ados ne sont plus perçus comme des « cas sociaux » mais comme des jeunes passionnés de cheval et reconnus pour leur qualité et leur sérieux.

Toute cette « transformation » est scandée dans le temps par des moments symboliques forts : la rentrée scolaire, avec ses cahiers neufs et les discours habituels, qui prennent ici tout leur sens car nul n’échappe à la classe (l’absentéisme est impossible à La Chabraque…) ; la distribution des notes trimestrielles, un soir d’hiver, de printemps et d’été ; la remise des prix avec podium et micro, le 14 Juillet, où chacun passe à son tour devant les invités d’honneur – les membres de l’assemblée générale, la plupart du temps –, des plus jeunes à ceux qui reçoivent leur diplôme (CAP ou groom équestre) , la cérémonie s’achevant par une paëlla géante.

Parmi tous ces moments de vie parfois très intenses, deux mots sont à retenir : valorisation et reconnaissance.

La valorisation de soi passe par l’école, par le soutien sans faille des enseignants et leurs notes valorisantes, mais aussi par le fait que les meilleurs attendent sans rechigner les plus faibles, sans créer de ségrégation (une grande dyslexique aura la même place au sein du groupe qu’une fin de 3e année). La valorisation de soi passe aussi à cheval. Certains jeunes, quand ils passent leurs galops, demandent à « se faire beaux ». Voilà bien ce dont il s’agit : être beau pour soi et pour les autres après avoir été moche et nul, être reconnu par l’autre pour ses qualifications professionnelles, sa vaillance au travail (La Chabraque a peu de « bras cassés », ils sont tous plutôt surmotivés), ses qualités équestres lors de petits concours interclubs. Quand un petit concours s’est bien passé, la reconnaissance des adultes consolide une confiance en soi trop souvent ébranlée.

Voici donc constitué le Chabraqueux. Il peut dorénavant partir de La Chabraque vers son premier emploi parce qu’il sait qu’au fin fond de l’Aveyron, dans une sorte de permanence, quelqu’un pense à lui. Muni de deux jambes solides, d’une technicité professionnelle et d’une tête bien faite ou presque, il peut s’envoler de La Chabraque sans se retourner.